Jean-François Revel

Revel, combattant et philosophe – Revel, combatiente y filósofo, por Nicolas Baverez

Traduction française

Revel, combattant et philosophe

La taille de l’académicien, la force de l’engagement anti-totalitaire, la profondeur et la diversité de son œuvre n’arrêtent pas d‘impressionner.
Par Nicolas Baverez, Historien et économiste.

Le 30 avril, à l’âge de 82 ans, mourait Jean-François Revel. Avec lui, disparaît le dernier des libéraux français du 20ème siècle dans la lignée des Elie Halévy et Raymond Aron. Tous les trois ont affronté les grandes guerres et idéologies qui ont dévasté le 20ème siècle dans une violence sans précédent causée par la mobilisation des formidables moyens de la société industrielle au service de l’avilissement des hommes et de leur extermination. Les trois, surgis des rangs de la gauche, se sont convertis au libéralisme pour préserver la démocratie, sous la pression de l’histoire et avec l’exercice de la raison critique. Les trois laissent une œuvre immense, située sous le double signe de la philosophie et de l’histoire, du travail scientifique et du combat anti-totalitaire.

Elie Halévy a formulé dans les années trente les premières comparaisons entre l’hitlérisme et le stalinisme. Raymond Aron a dénoncé les dangers du pacifisme, s’est engagé avec la France libre avant de se convertir en héraut de la résistance au communisme dans les pires années de la Guerre Froide, surtout à travers la dénonciation de l’Opium des intellectuels. Jean-François Revel a analysé et combattu sans relâche les stratèges de l’idéologie, « cette construction a priori élaborée sans tenir compte des faits et droits, contrairement à la fois à la science et à la philosophie, à la religion et à la morale », au delà de la révolution de la liberté de 1989 qui a marqué la fin du Soviétisme.

Jean-François Revel fut aussi la dernière grande figure de l’intellectuel après la seconde guerre mondiale. Un intellectuel engagé, qui est entré dans la Résistance en même temps qu’il accédait à l’âge adulte, militant pour la décolonisation, opposant déclaré à l’autoritarisme de la Vème république, férocement anti-communiste. Un intellectuel universel à la fois logique et pamphlétaire, philosophe et critique d’art, styliste et gastronome. Un intellectuel cosmopolite, marque de fabrique qui distingue les libéraux au sein des intellectuels français, qui parlait cinq langues et avait vécu au Mexique et en Italie avant de parcourir inlassablement le monde, cultivant les amitiés avec Breton, Borges, Paz ou Vargas Llosa.

La taille de l’académicien, la force de l’engagement anti-totalitaire, la profondeur et la diversité de son œuvre n’arrêtent pas d ‘impressionner. Mais l’image de commandeur des lettres ne doit pas cacher l’homme et sa trajectoire, qui apporte le démenti le plus mordant à tous ceux qui prétendent que les libéraux sont nécessairement froids, ennuyeux et tristes, qu’ils n’ont pas d’histoire car il n’ont pas de vie.

En effet, rien chez Revel n’est droit, sauf sa pensée. Tout chez cette figure par excellence de la raison et la liberté s’est construit au terme d’un parcours chaotique et parfois douloureux, un chemin décidément personnel en marge des institutions, des modes et des préjudices, ouvert à l’horizon, assumant délibérément le risque des hasards de l’histoire et des retrouvailles. Rien ne résulte de l’évidence. Tout est histoire de lignes brisées et de ruptures. Rupture avec sa famille et surtout avec son père, à travers son engagement dans la résistance. Rupture avec la religion et toutes formes de dogme après son chemin rocambolesque aux côtés de las secte de Gurdjieff , ce qui ne l’empêchait pas de réserver une possibilité pour la foi, comme le montre le dialogue avec son fils Matthieu, converti au bouddhisme. Rupture avec l’université pour choisir l’écriture et l’édition. Rupture avec la gauche après la rencontre éphémère avec F Mitterrand sous la bannière de l’anti-gaullisme dans les années soixante. Rupture avec l’Express en solidarité avec O. Todd, renvoyé par Jimmy Goldsmith après les élections présidentielles de 1981. Rupture surtout avec le mensonge, le conformisme et le bien penser qui l’a toujours converti en un dissident, au même titre que les intellectuels de l’Europe de l’Est résistaient au Soviétisme.

Dans la personnalité de Revel cohabitaient un Thucydide du 20ème siècle, un Cyrano de Bergerac et un Gargantua. La philosophie n’était pas tout éthérée, mais se dirigeait et tendait vers l’action et le réel. La logique s ‘alimentait d’une boulimie d’informations, de faits, de lectures, d’expérience, de sensations. La liberté et la vérité faisaient chemin en compagnie de la recherche du bonheur et le goût de la beauté, celle des choses et encore plus celle des êtres. La percussion de la pensée et la limpidité du style n’avaient pas leur origine dans une méthode linéaire, mais dans un rapprochement oblique, où la rectitude du jugement naissait de la multiplication des angles et de l’abondance des matériaux bruts. L’éclat de l’intelligence tenait son origine d’une formidable vitalité, une énergie inépuisable qui multipliait les polémiques et les attaques.

Cependant, quatre convictions donnent à ce parcours singulier et à cette œuvre titanesque une cohérence et une unité indiscutables. La première réside dans la force des idées et la pensée, qui, selon ce qu’a démontré la révolution de 1989, peut triompher, même des empires totalitaires. La deuxième, il faut la chercher dans la primatie et le pouvoir de la liberté, qui établit un lien fondamental entre le choix de la démocratie et celui du marché. La troisième est liée à la raison critique, arme de destruction massive contre les idéologies et les mythes. La quatrième consiste en le respect de la connaissance et de la chasse impitoyable du mensonge et de l’erreur : ainsi, ses mémoires intitulées « Le voleur dans la maison vide », loin de se livrer à une plaidoirie pro domo, le dévoilent aussi véritable et ironique face à lui même que face aux autres ou aux événements.

Aux folies et aux passions qui ravagent la vie politique française, où l’anti-libéralisme rivalise avec l’anti-globalisation et l’anti-américanisme, Jean-François Revel opposait l’antidote de la précision en établissant les faits, l’antidote de la logique d’argumentation, de la précision du raisonnement. Loin d’être un nostalgique de la Guerre Froide, il avait pris la pleine mesure du fanatisme religieux et le retour agressif des sentiments d’identité libérés par la chute des idéologies du 20ème siècle, parce qu’il mesurait la puissance de l’irrationnel, des dogmes et des extrémismes. Loin d’idéaliser la France Gaulliste, il voyait dans le caractère monarchique et absolu des institutions e la Vème république la cause profonde du divorce entre la France et la modernité. De plus, l’Histoire lui donne raison au moment où il quitte ce monde, tant en ce qui concerne sa conviction que le 21ème siècle sera libéral qu’en ce qui concerne la constatation que la France a manqué ce rendez-vous capital, emmêlée dans sa fascination pour les fantômes du passé, et au culte pervers des idéologies qui ont ensanglanté le 20ème siècle ; la globalisation se réduisant à l’état suprême du communisme, pendant que se déchaînent les tentations protectionnistes xénophobes.

Face au tissu de mensonges et à cette démagogie qui s’empare de la France, Revel et sa silhouette de médaille romaine rendent l’ image d’une vertu et d’une sagesse inébranlables, imbibées d’Antiquité. Il a fait sienne cette maxime de Héraclite selon laquelle : « Pour être sage, il ne suffit pas d’être érudit. Faire de la philosophie c’est devenir avant tout un homme de bien, aspirer au salut et la joie par le bon chemin indiquant à ceux qui le veulent bien, de même manière avec l’exemple qu’avec l’enseignement, le chemin de la sagesse. » Ses combats sont les preuves de sa conviction que la conversion de l’homme à la liberté et à la raison n’est pas chose acquise, mais est encore possible, ce qui exclut le désespoir. Sa lucidité lui a fait reconnaître que les idéologies et les fantômes s’alimentent de leur échecs et faillites. La foi en la liberté et la reconnaissance du pouvoir des ennemis sont les conditions pour la survie de la démocratie du 20ème siècle. Pour cela, la pensée et le combat anti-totalitaire de Jean-François Revel demeurent complètement d’actualité et constituent le viatique le plus salutaire pour les citoyens des démocraties en général et pour les français en particulier.

La talla del académico, la fuerza del compromiso antitotalitario, la profundidad y diversidad de su obra no dejan de impresionar…

Por NICOLÁS BAVEREZ. Historiador y economista

EL 30 de abril, a la edad de 82 años, fallecía Jean-François Revel. Con él desaparece el último de los liberales franceses del siglo XX, en la línea de Elie Halévy y Raymond Aron. Los tres se enfrentaron a las grandes guerras y a las ideologías que devastaron el siglo XX con una violencia sin igual causada por la movilización de los formidables medios de la sociedad industrial al servicio del envilecimiento de los hombres y de su exterminio. Los tres, surgidos de las filas de la izquierda, se convirtieron al liberalismo para preservar la democracia, bajo la presión de la historia y con el ejercicio de la razón crítica. Los tres dejan una obra inmensa, situada bajo el doble signo de la filosofía y la historia, el trabajo científico y el combate antitotalitario.

Elie Halévy formuló en los años treinta las primeras comparaciones entre el hitlerismo y el estalinismo. Raymond Aron denunció los peligros del pacifismo, se comprometió con Francia Libre antes de convertirse en heraldo de la resistencia al comunismo en los peores años de la Guerra Fría, sobre todo a través de la denuncia de El opio de los intelectuales. Jean-François Revel analizó y combatió sin descanso los estragos de la ideología, esa «construcción a priori elaborada sin tener en cuenta los hechos y los derechos, lo contrario a la vez de la ciencia y la filosofía, de la religión y la moral», más allá de la revolución de la libertad de 1989 que marcó el fin del sovietismo.

Jean-François Revel fue también la última gran figura del intelectual posterior a la Segunda Guerra Mundial. Un intelectual comprometido, que entró en la Resistencia a la vez que accedía a la edad adulta, militante de la descolonización, opositor declarado del autoritarismo de la Quinta República, ferozmente anticomunista. Un intelectual universal a la vez lógico y panfletista, filósofo y crítico de arte, estilista y gastrónomo. Un intelectual cosmopolita, marca de fábrica que distingue a los liberales en el seno de la intelectualidad francesa, que hablaba cinco lenguas y había vivido en México e Italia antes de recorrer incansablemente el mundo, cultivando la amistad de Breton, Borges, Paz o Vargas Llosa.

La talla del académico, la fuerza del compromiso antitotalitario, la profundidad y diversidad de su obra no dejan de impresionar. Pero la imagen de comendador de las letras no debe ocultar al hombre y su trayectoria, que aportan el desmentido más mordaz a todos los que pretenden que los liberales son necesariamente fríos, aburridos y tristes. Que no tienen historia porque no tienen vida.

En efecto, nada en Revel es recto, excepto su pensamiento. Todo en esta figura por excelencia de la razón y la libertad se construyó al término de un recorrido caótico y a veces doloroso, un camino decididamente personal, al margen de las instituciones, las modas y los prejuicios, abierto al gran horizonte, asumiendo deliberadamente el riesgo de los azares de la historia y los reencuentros. Nada se deriva de la evidencia. Todo son líneas quebradas y rupturas. Ruptura con su familia, y sobre todo con su padre, a través de su compromiso con la Resistencia. Ruptura con la religión y con cualquier forma de dogma después de su rocambolesco camino junto a la secta de Gurdjieff, lo que no le impedía reservar la posibilidad de la fe, como muestra el diálogo con su hijo Matthieu, convertido al budismo. Ruptura con la Universidad para elegir la escritura y la edición. Ruptura con la izquierda después del efímero encuentro con François Mitterrand bajo la bandera del antigaullismo en los años sesenta. Ruptura con L´Express por solidaridad con Olivier Todd, despedido por Jimmy Goldsmith después de las elecciones presidenciales de 1981. Ruptura sobre todo con la mentira, el conformismo, el bien pensar que le convirtió siempre en un disidente, al mismo nivel que los intelectuales de la Europa del Este que resistían contra el sovietismo.

En Revel cohabitan así un Tucídides del siglo XX, un Cirano de Bergerac y un Gargantúa. La filosofía no era en absoluto etérea, sino que se dirigía y tendía hacia la acción y lo real. La lógica se alimentaba de una bulimia de informaciones, de hechos, de lecturas, de experiencias, de sensaciones. La libertad y la verdad caminaban en compañía de la búsqueda de la felicidad y el gusto por la belleza, la de las cosas y aún más la de los seres. La percusión del pensamiento y la limpidez del estilo no tenían su origen en un método lineal, sino en un acercamiento oblicuo, donde la rectitud del juicio nacía de la multiplicación de los ángulos y de la abundancia de los materiales brutos. El brillo de la inteligencia tenía su origen en una formidable vitalidad, una energía inagotable que multiplicaba las polémicas o los ataques.

Sin embargo, cuatro convicciones dan a este recorrido singular y a esta obra titánica una coherencia y una unidad indiscutibles. La primera reside en la fuerza de las ideas y el pensamiento, que, según demostró la revolución de 1989, puede triunfar, incluso sobre los imperios totalitarios. La segunda hay que buscarla en la primacía y el poder de la libertad, que establece un lazo fundamental entre la elección de la democracia y la del mercado. La tercera está ligada a la razón crítica, arma de destrucción masiva contra las ideologías y los mitos. La cuarta consiste en el respeto al conocimiento y la caza despiadada a la mentira y el error: así, sus memorias tituladas Le voleur dans la maison vide (El ladrón en la casa vacía), lejos de entregarse a un alegato pro domo, le descubren tan verdadero e irónico frente a sí mismo como frente a los demás o a los acontecimientos.

A las locuras y las pasiones que asuelan la vida política francesa, donde el antiliberalismo rivaliza con la antiglobalización y el antiamericanismo, Jean-François Revel oponía el antídoto de la precisión al establecer los hechos, de la lógica de la argumentación, de la precisión del razonamiento. Lejos de ser un nostálgico de la Guerra Fría, había tomado la plena medida del fanatismo religioso y la vuelta agresiva de los sentimientos de identidad liberados por la caída de las ideologías del siglo XX, porque medía la potencia de lo irracional, de los dogmas y de los extremismos. Lejos de idealizar la Francia gaullista, veía en el carácter monárquico y absolutista de las instituciones de la Quinta República la causa profunda del divorcio entre Francia por una parte y la modernidad por otra. Además, la historia le da la razón en el momento en que deja este mundo, tanto en su convencimiento de que el siglo XXI será liberal como en la constatación de que Francia ha faltado a esta cita capital, entregada a su blanda fascinación por los fantasmas de su pasado y al culto perverso de las ideologías que han ensangrentado el siglo XX, reduciéndose la antiglobalización al estadio supremo del comunismo, mientras se desencadenan las tentaciones proteccionistas y xenófobas.

Frente a la bola de mentiras y demagogia que se apodera de Francia, Revel y su perfil de medalla romana devuelven la imagen de una virtud y una sabiduría inquebrantables, embebidas de Antigüedad. Hizo suya la máxima de Heráclito según la cual: «Para ser sabio no basta con ser erudito. Filosofar es convertirse ante todo en un hombre de bien, aspirar a la salvación y la felicidad por el buen camino indicando a aquellos que lo deseen, con el ejemplo igual que con la enseñanza, el camino a la sabiduría». Sus combates dan testimonio de su convicción de que la conversión de los hombres a la libertad y la razón no es algo adquirido, pero todavía es posible, lo cual excluye la desesperanza. Su lucidez le hizo reconocer que las ideologías y los fantasmas se alimentan de sus fracasos y sus mismas quiebras. La fe en la libertad y el reconocimiento del poder de los enemigos son las condiciones para la supervivencia de la democracia del siglo XXI. Por eso, el pensamiento y el combate antitotalitarios de Jean-François Revel siguen siendo completamente actuales y constituyen el viático más saludable para los ciudadanos de las democracias en general y para los franceses en particular.