Sur Proust
Présentation de l’éditeur
L’originalité de l’essai de Jean-François Revel consiste à juger le roman de Proust en “lecture directe” et non pas à travers les idées esthétiques professées par l’auteur et reprises par ses commentateurs. La théorie bergsonienne de la “double mémoire”, postulat philosophique de l’œuvre, est, littérairement, son apport le plus faible. Quant à la célèbre “continuité proustienne”, quant au sens aigu du déroulement temporel, ils n’existent pas. Le génie de Proust est non pas d’avoir révolutionné la forme du roman mais d’avoir inventé un roman sans forme, une nouvelle matière romanesque. Proust a fait sien l’axiome de Ruskin pour qui “le devoir de l’écrivain est de percevoir la réalité” et, dans son œuvre, il a porté cette exigence à sa plus haute expression, de telle manière que l’art et la vie s’y trouvent indissolublement liés. Il n’est pas pour autant un écrivain naturaliste. C’est un visionnaire : mais, comme Saint-Simon ou Tacite, un visionnaire du vécu.
[…] Jean-François Revel définit le snobisme dans un livre consacré à Proust : «nous sommes snobs lorsque notre attitude (…) dépend, non point directement de cette personne, ni des impressions que nous recevons d’elle par l’effet de sa présence, mais d’une troisième force, étrangère aux qualités qui lui appartiennent en propre». Et l’écrivain de préciser que ce troisième facteur peut être pêle-mêle «la noblesse, l’argent, le pouvoir, la possession d’une automobile dépassant une certaine vitesse, d’un cheval, d’un chien, d’un record sportif ou littéraire ou même d’un titre universitaire». Il ajoute même l’appartenance à une corporation: Ecole, Administration, Corps, Armée; etc. Dans le cas qui nous occupe, la troisième force est évidemment l’argent et le prestige autour. On a le sentiment que ce puissant facteur empêche littéralement le journaliste d’exprimer sinon une condamnation immédiate du moins les réserves qui pourtant s’imposent. C’est à l'évidence du snobisme car si les mêmes propos eussent été prononcés par un homme dans la rue dont elle ignorait tout, le troisième facteur n’aurait probablement pas joué. On peut donc dire que le snobisme vise entre autres choses, à ne pas juger les hommes sur ce qu'ils disent mais sur ce qu'ils sont et un journaliste snob devrait être, dans le meilleur des mondes, un oxymore. […]