Bernard Frank parle de Revel
Revel est cité de nombreuses fois dans les livres de Bernard Frank.
Dans En soixantaine :
Un bon livre d’un ami publié par votre propre éditeur, c’est presque aussi rare qu’un crocodile en Ecosse. (Il est vrai qu’en cette année 60, où j’ai pu lire Sur Proust de Revel et Un château en Suède de Sagan, le crocodile ne manquait pas.)
Page 37
Christiane Rochefort me parle du bel article que Marguerite Duras, qu’elle aime beaucoup, avait écrit sur elle dans France-Observateur. […] J’ai rendez-vous avec Revel. Je propose à C. R. de m’accompagner puisqu’elle m’a dit mille choses gentilles sur le roman de Revel, Histoire de Flore.
Page 46
Eh bien ! Quoiqu’en dise Jean-François Revel, c’est Proust le responsable. Nous sommes proustisés jusqu’à la gorge, jusqu’à la gauche. Malgré les apparences, ce XXe siècle, et par la faute de Proust, a la mythomanie des familles.
Page 102
Sartre et Revel n’ont pas de tendresse aveugle pour leurs oeuvres réciproques. Revel a toujours pensé qu’il y avait plus de bonne philosophie dans “Le Rouge et le Noir” que dans tous les ouvrages du regretté Blondel. Eh bien, Sartre semble donner raison à Revel. Il fait appel aux écrivains pour tenter de renflouer cette vieille péniche nostalgique qu’est la philosophie, en train de sombrer dans je ne sais quel canal Saint-Martin.
Page 229
Revel m’est apparu dans un salon parisien, un an peut-être avant l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle, en 1957, pour être sûr d’être compris par les adolescents d’aujourd’hui. Ce Marseillais du Nord m’intimidait avec son côté haut dignitaire du Second Empire qui aurait eu Stendhal comme ami intime. J’avais, ce soir-là, déjà lu de lui des fragments de son Pourquoi des philosophes qu’avait publié Nourissier dans La Parisienne, et, chez Julliard, son Histoire de Flore, un de ces récits sinistres et maniaques dont Nizan, me semblait-il, avait eu le secret avant la fin des illusions françaises de l’entre-deux-guerres. Comme sa conversation m’amusait, je lui communiquai mon numéro de téléphone, agrémenté par la liste de mes oeuvres complètes. Si j’ai depuis changé plus souvent de numéro de téléphone que d’ « oeuvres complètes », jamais ce qu’a écrit Revel ne m’a vraiment décu.
Pages 305-306
Il m’a semblé que Revel dans le deuxième tome de son Histoire de la philosophie tenait, comme disait Roger Vailland, la forme, autant que mes médiocres connaissances en philosophie m’autorisent à lui délivrer de pareils brevets. Qu’il possédait parfaitement son sujet. On dit souvent de Revel, dans les milieux généralement bien informés de la philosophie, que c’est un jouisseur, un hédoniste des idées, on parle de son scepticisme blasé. […] Mais qu’aime donc Revel ? Montaigne, Galilée par exemple. Des hommes qui nous ont appris ou qui nous apprennent des choses vraies et qui, après leur passage, n’ont pas cru devoir fermer avec colère les portes du savoir.
Pages 311-313
Pages 410-413 – Chronique de 4 pages intitulée « Neither Marx nor Jesus »
Revel vient de publier également sous le titre Le Rejet de l’Etat (Grasset) les courts essais qu’il a écrits dans le Point depuis 1982. Je ne les ai pas encore lus mais je leur fais confiance. C’est l’ennui avec Revel en politique : il a une façon d’avoir raison qui décourage presque la lecture !
Dans Vingt ans avant
Revel. Il a ce pouvoir de me faire réfléchir deux fois plutôt qu’une sur ce que je viens d’avancer. Il me fait réfléchir quand il est trop tard, quand la bêtise est faite. Et c’est le propre du moraliste. Bonne occasion de signaler son dernier ouvrage La Connaissance inutile (chez Grasset), plus touffu plus documenté que les autres. J’ai la faiblesse de penser que ce livre, il l’a écrit pour répondre à une question que je lui avais posée, il y a longtemps : “Toi qui crois aux vertus de l’information, comment expliques-tu la guerre du Vietnam [nous étions en plein dedans] alors que l’opinion américaine à la différence de la nôtre pendant la guerre d’Algérie est surabondamment informée et par sa presse et par sa télévision ? – Patience ! m’avait dit Jean-François Revel, je t’expliquerai.” Voilà qui est fait.
Dans 5, rue des Italiens, pages 641-642
Maurice Druon, écrit Revel, estime que nous devons nous sentir “concernés” par les lauriers [le prix Nobel] d’un écrivain en qui est couronnée par un jury étranger toute la culture française. N’est-ce pas un raisonnement d’essence fasciste ? les écrivains devenant des institutions nationales, la critique littéraire vouée au seul commentaire, c’est mauvais signe… Avec notre Malraux prophète, notre Camus béatifié, c’est le respect qu’on nous propose à la place des idées, et l’ordre moral au lieu de l’ordre intellectuel. D’où, chez les contradicteurs de Frank, un ton qui rappelle quelque chose : Frank a écrit par haine ; il tronque les citations (?), il est venimeux, envieux, il jette de la boue, de la “boue qui brille” et c’est ce qui aggrave son cas. […] D’ailleurs qu’a-t-il fait pour l’Afrique, lui qui reproche à Camus son silence ? […] L’objection de Memmi est plus nuancée, mais elle transpose et fige une situation politique en situation métaphysique. Camus réduit au silence par ses contradictions de “colonisateur de bonne volonté”, l’analyse est jolie. mais politiquement, on sait que toute attitude, quelle qu’elle soit, est une prise de position, et le silence aussi.
Dans Mon siècle, page 141. Réaction de Revel après que Frank s’en prit à Camus, Druon et Memmi soutenant ce dernier.
A l’Express, chacun joua son rôle avec diligence. Revel fut implacable à son habitude. Il ne manquait pas un bouton de guêtre à ses démonstrations, d’autant plus rigoureuses qu’il les rode depuis plus de dix ans pour notre grand plaisir. Avec Revel, le lecteur ne risque pas d’être dépaysé : il a un peu l’impression de lire le même article. C’est que la vérité dont Revel s’est fait le défenseur est une et indivisible. Il a combattu pour elle lorsqu’elle se nommait Parisienne, revue littéraire, aujourd’hui disparue, éditée par les Editions de Paris, officine assez douteuse financée par les hommes de la tribu Carbuccia en 1956-1957. C’est avec la même vigueur qu’il adhéra à la F.G.D.R. dont il fut le candidat malheureux à Neuilly où je suis né. Je m’empresse d’ajouter que je ne suis en rien responsable de cet échec. […] Toujours est-il, et je le répète parce qu’il me semble que c’est à partir de ce moment-là, oui, quand Revel a voulu devenir le député de ma cité, que nos rapports sont devenus moins confiants, moins affectueux – peut-être inconsciemment ai-je été jaloux de cette tentative de mainmise sur les miens ? […] Toujours est-il, disais-je pour la seconde fois, que je n’ai rien fait pour que Revel ne fût pas élu. Ai-je été au-delà ? Non. Mais je n’étais pas F.G.D.R. Bien m’en a pris puisque Revel ne l’est plus. J’aurais bonne mine aujourd’hui si j’avais contribué à ce que Revel fût élu député de F.G.D.R. ! Il aurait des raisons de m’en vouloir car, s’il l’avait été par mes soins, comment se serait-il arrangé pour être ce qu’il est devenu ? Revel n’aurait pu dénoncer ces ambiguïtés du programme commun, ce qu’avaient d’illusoires les nationalisations et la coalition contre nature de la gauche et de certains gauchistes. […] Ce qui a empêché Revel de se perdre dans les sables de la gauche, c’est qu’il a échoué lorsqu’il s’est confondu avec elle, de telle façon que, tout en gardant des principes très fermes et l’une des premières positions littéraires de Paris, il a accédé aux rivages enchanteurs de la Réforme.
Dans Solde, pages 42 et suivantes
Quand j’ai connu Revel, il se contentait modestement de publier les fragments de son Pourquoi des philosophes ? dans la première revue qui se présentait et qui était La Parisienne, comme je l’ai déjà dit, autant dire la dernière. Ces débuts difficiles ont suffi pourtant pour l’entraîner dans une danse infernale qui n’a plus cessé. Il a valsé d’abord avec lenteur dans L’Observateur, le petit, l’ancien, celui qui faisait très à gauche à cause de son mauvais papier, le meilleur au point de vue littéraire […] C’est l’art qui l’attirait. Puis, cet Observateur littéraire, il l’a étreint -tango amoureux- tant et si bien qu’il s’est retrouvé au Figaro littéraire de Michel Droit où il s’occupait d’expédier la philosophie comme il est de règle lorsqu’on appartient à un ministère démissionnaire chargé des affaires courantes, morne existence égayée par une collaboration épisodique à un magazine de mode masculine dont la caractéristique notable était ma présence et où il tenait les rênes de la chronique hippique comme jadis Léon Blum dans la Revue blanche. On sait la suite, je n’en sais pas la fin […] Maintenant c’est la grande politique étrangère, les Affaires extérieures, la Diplomatie dont il s’était si savoureusement moqué naguère. Il est irremplaçable. C’est pratiquement le seul à L’Express qui ait la culture nécessaire pour accompagner nos ministres en Arabie Saoudite : il vient de faire renouveler son certificat de baptême.
Dans Solde, pages 102-103
Merci à Jacques Faule pour cette recension.