Extraits de la préface de “Histoire de la sainte Russie” de Gustave Doré
Préface de Revel de la réédition du livre de Gustave Doré “Histoire de la sainte Russie“, Hermann, 1996.
Elle est intitulée “Gustave Doré profanateur et prophète”.
“Gustave Doré gava d’images mes yeux d’enfant. Moins peut-être à cause de ses illustrations, si animées, des Fables de La Fontaine, dont, cependant, j’absorbais sans me lasser la verve cocasse et bucolique, qu’à cause de son Voyage en Espagne.”
“S’il s’agit bien de rire, en feuilletant la Sainte Russie, convenons que c’est d’un rire plutôt macabre. La Russie n’y est “sainte” que pour se voir d’autant plus implacablement profanée. Tout le talent du dessinateur se met au service d’un défilé pluriséculaire de décapitations, pendaisons à perte de vue et massacres groupés.”
“…l’année 1854, celle de la publication de la Sainte Russie, se situe en pleine guerre de Crimée, laquelle fait toucher à la Russie le tréfonds de l’impopularité en Occident.”
“Le rôle de l’art est quelquefois d’être prémonitoire, voire prophétique. Durcissant par trop le trait dans sa peinture de l’Empire des tsars qui, du moins au dix-neuvième siècle, était un régime autoritaire, mais non totalitaire, Doré, en revanche, devine, pressent et peint par avance le système totalitaire soviétique qui écrasera la Russie au vingtième siècle.”
“La vision de l’avenir qu’a l’artiste pose par anticipation la question de savoir si le despotisme bolchévique exprimait et prolongeait le “caractère national” russe et l’histoire passée, ou si, au contraire, il a cassé et interrompu un processus de libéralisation et de modernisation…”. “De la réponse qu’on y donne dépend notamment l’idée qu’on se fait aujourd’hui des possibilités russes de sortir vraiment du communisme…”