Jean-François Revel

Jean-François Revel : « Nous sommes en plein irréalisme politique »

Jean-Paul Mulot, Le Figaro, 26 février 1997

LE FIGARO. Dans votre chronique du « Point », vous écrivez : « Bien loin de constituer un réveil des intellectuels, le mouvement contre le projet de loi Debré indique plutôt une recrudescense de leur sommeil »…

Jean-François REVEL. Les intellectuels ont refusé de tirer les leçons de leurs erreurs passées. On aurait pu penser qu’ils auraient enfin fait leur examen de conscience. Je constate que ce n’est pas le cas. N’ayant pu se manifester ces dernières années, ils se ruent sur le moindre prétexte pour nous infliger ce qui constitue l’alpha et l’oméga de leur pensée politique, c’est-à-dire traiter de fascistes ceux qui sont en désaccord avec eux ! Mais leur propos étant totalement incohérent, on ne voit pas, de toute façon, ce sur quoi on pourrait se mettre d’accord !

Quel est le but poursuivi par ce mouvement ? Dénoncer un projet de loi, s’attaquer au FN…

Comme au moment de l’affaire des sans-papiers, le mouvement vise essentiellement à légaliser tous les immigrants et donc à faire disparaître la notion même d’immigration illégale. C’est-à-dire que toute mesure prise par un État pour contenir, doser, réguler l’immigration qui arrive dans son propre pays devient une mesure à caractère fasciste. Nous sommes en plein irréalisme politique : dans aucun pays au monde, l’autorisation de s’y installer ne dépend de la seule décision du migrant. Même dans les pays du tiers-monde. Au Nigeria, on renvoit (sic) les Ghanéens et les Sénégalais. Idem en Malaisie, avec les immigrés en provenance du Bangladesh et de l’Indonésie. Et pourtant, on ne peut pas évoquer une quelconque question d’assimilation pour des raisons culturelles ou religieuses, puisque ces pays sont tous musulmans. On a récemment mis l’accent sur le fait que l’Italie avait adopté une législation très bienveillante à l’égard des immigrés réguliers, ce qui est exact, mais on a passé sous silence le fait que l’Italie était impitoyable pour l’immigration clandestine. Même l’Espagne a rétabli les visas pour les immigrants provenant d’Amérique latine. Tout cela n’est qu’une simple question de bon sens. Il ne s’agit pas de mettre un terme à l’immigration ou de renvoyer tous les immigrés, il s’agit simplement de n’accueillir que les immigrés que la société peut absorber. Il suffit d’un peu de bon sens pour comprendre que l’intégration n’est possible que si l’immigration est maîtrisée. Ce n’est pas être xénophobe, au contraire. Une immigration sans contrôle ne peut tourner qu’à la catastrophe car elle crée un chaos permanent à l’intérieur de la communauté immigrée. Le problème aujourd’hui est que, même les enfants d’immigrés nés en France, ne sont pas intégrés. C’est une première dans l’histoire de l’immigration. Parfois, ils sont moins intégrés que leurs parents. Pourquoi ? Parce que les immigrés sont en permanence déstabilisés par de nouvelles vagues d’immigrés irréguliers.

Comment expliquez-vous que deux tiers des Français approuvent le projet Debré tandis que la moitié approuve les pétitionnaires ?

Dans ces deux chiffres, l’un est plus fondamental que l’autre : 67 % des Français se déclarent favorables à ce que l’on lutte contre l’immigration clandestine. Simplement, en France, personne n’ose dire qu’il désapprouve les manifestants. Souvenez-vous, lors des grèves de décembre 1995, les usagers des services publics, ceux qui payent avec leurs impôts les avantages des salariés du public, étaient les premiers à dire qu’il fallait comprendre les grévistes, que ces gens étaient animés de bonnes intentions, etc. Il y a une tradition française qui veut que l’on soit du côté des grévistes. Mais il faut relativiser : si une moitié des Français approuve les pétitionnaires, c’est bien que l’autre moitié est contre…