Jean-François Revel

Extraits de la préface de “Les paupières lourdes”

Extraits de la préface par Revel de :
Les paupières lourdes
Les Français face au goulag : aveuglements et indignations

Pierre Rigoulot, Editions universitaires, 1991

Pages 7 et 8

Avec le nouveau livre qu’il donne aujourd’hui au public, Rigoulot aborde et, à mon avis, domine l’une des questions les plus énigmatiques de notre vingtième siècle -que l’on pourrait baptiser “siècle des ombres”, comme on baptisa le dix-huitième, “siècle des lumières”. C’est l’énigme non pas de l’existence des camps de concentration communistes (car pour tout connaisseur du phénomène totalitaire il n’y a point là d’énigme) mais de la valse chaloupée de l’Occident, et surtout de l’intelligence occidentale, dans son alternance de conscience et d’oubli face au scandale suprême pour la gauche : le socialisme concentrationnaire. Il s’agit pour Rigoulot de passer au scanner ce que Sartre -lui-même un des plus brillants valseurs- appelle en connaissance de cause dans L’Etre et le Néant, la “foi de la mauvaise foi”.

Rigoulot montre très bien comment il est à la fois vrai et faux de dire que l’Occident a toujours su à quoi s’en tenir sur la terreur en Union soviétique. C’est vrai dans ce sens que les informations l’établissant furent en abondance disponibles très tôt. Mais disponibles ne veut pas dire diffusées. Et diffusées ne veut pas dire enregistrées, par exemple dans les manuels scolaires, les histoires universitaires supérieures, les dictionnaires encyclopédiques, tout ce qui fait durer la connaissance. Les affleurements successifs de la vérité se trouvèrent ainsi les uns après les autres dus à des marginaux, à des francs-tireurs, et recouverts à bref délai par de nouvelles pelletées de sable officiel.

Merci à Jacques Faule pour la transcription