Jean-François Revel

« Il y a un seuil de réformes qu’on ne peut franchir qu’en acceptant le conflit »

Par Olivier Pognon, Le Figaro, n°18082, vendredi 27 septembre 2002

Jean-François Revel : « Il y a un seuil de réformes qu’on ne peut franchir qu’en acceptant le conflit »

L’académicien Jean-François Revel a regardé hier soir l’intervention télévisée de Jean-Pierre Raffarin. L’auteur de L’Obsession américaine (Plon) a trouvé le premier ministre « très bon » quant à la forme, mais doute qu’il soit en mesure d’imposer en France les réformes nécessaires.

LE FIGARO. Avez-vous été convaincu par Jean-Pierre Raffarin ?

Jean-François REVEL. Je l’ai trouvé très bon. On dit du premier ministre qu’il est lourdaud, et qu’il serait un rustre de province : pas du tout. Il s’exprime très bien, avec beaucoup de précision et de courtoisie, et une grande maîtrise de l’argumentation. C’est en outre un excellent débatteur. Hier soir, il semblait d’autant mieux dominer son sujet qu’il ne pratiquait pas la langue de bois.

Vous paraît-il en mesure d’agir comme il le dit, de faire bouger la France ?

Le problème de la France est toujours le même. Quelle que soit la justesse de l’analyse des dirigeants, ils ne peuvent pas appliquer les solutions qu’ils estiment bonnes et nécessaires, parce que quelques groupes de pression ont la possibilité de bloquer la société française dès lors qu’ils sentent leurs privilèges menacés. Après la Seconde Guerre mondiale, l’État français a confié un revolver et la clé de la chambre aux syndicats d’un certain nombre d’entreprises publiques. Nous en sommes toujours là.

La méthode du premier ministre, qui se veut un savant dosage de diplomatie, de pédagogie et de ténacité, ne vous paraît pas capable de réussir là où la méthode Juppé avait échoué ?

Non. A partir du moment où il faudra demander aux privilégiés du secteur public de bien vouloir aligner leurs retraites sur celles des salariés du secteur privé, vous aurez aussitôt une grève générale. Il y a un seuil de réformes qu’on ne peut franchir qu’en acceptant le conflit. On ne peut pas faire de politique sans se faire des ennemis. Quand Richelieu a voulu supprimer les duels, il a bien fallu qu’il fasse exécuter un certain nombre de nobles récalcitrants.

Que faire ?

Il n’y a que le président de la République qui puisse agir. Il peut convoquer les responsables syndicaux à l’Elysée et leur dire : vous avez des privilèges, acceptez-vous d’y renoncer ? C’est son rôle. J’ai été choqué, lors de la grande grève de la fin de l’année 1995, que Jacques Chirac n’ait pas pris la parole, pour dire aux Français : « Vous qui êtes favorables à la grève, il faut que vous sachiez que c’est vous qui payez pour les privilèges que vous défendez. »

Il faut que le président de la République s’adresse à la nation tout entière. Il faut qu’il explique aux Français qu’ils doivent être tous logés à la même enseigne. Il ne l’a jamais fait.