Jean-François Revel

L’Abécédaire de Jean-François Revel : Le bada

A l’occasion de la publication de L’Abécédaire de Jean-François Revel par les éditions Allary, nous reproduisons ici des citations dans l’esprit du recueil.

Le grand phénomène dans l’antilibéralisme, c’est la convergence entre l’extrême droite et l’extrême gauche. Le Front national est antilibéral; il est contre la mondialisation. Ce député, qui est, je crois, dans le groupe Pasqua, l’est également. Quand il dit tous les journalistes sont vendus au pouvoir politique et le pouvoir politique est vendu au grand capital, c’est du Bourdieu.

Libéral, Revel s’est toujours autant opposé à la droite nationaliste qu’à la gauche marxiste. En mars 2000, sur un plateau de télévision, il répond aux diatribes de Paul-Marie Coûteaux, souverainiste alors député européen, contre les élites supposées acquises au libre-échangisme. Cette citation aurait pu s’insérer dans la rubrique “convergence”.

Émission Le Gai Savoir sur la chaîne Paris Première, 5 mars 2000

Disparition du texte, disparition des acteurs, négation de la troisième dimension, remise en question de tout ce qui est théâtre.

Pour constater l’évolution de la Scène

Christian Bourgois m’apprend que vous avez poussé la gallophobie jusqu’à vous rendre acquéreur de 500 exemplaires de mon livre sur la France et que vous préméditez la mauvaise action d’offrir ces exemplaires à des responsables de notre jeunesse. Je ne saurais trop vous remercier pour cette mauvaise action, tout en redoutant les suites pour le moral national.

Lettre à Henri Bordas, 14/12/65, à propos d’En France

Son koulibiak auprès duquel celui de Fauchon devrait être renvoyé au wagon-restaurant. Un plat marqué par un mélange de probité totale et d’authentique esprit de finesse.

Observation gastronomique

Philosopher n’est pas régner sur les connaissances du reste du genre humain comme un lointain propriétaire terrien sur des domaines qu’il administre nonchalamment et ne visite jamais.

Pourquoi des philosophes

La fonction idéologique de Tel Quel est très nette: elle consiste à fabriquer une culture bourgeoise en la présentant comme anti-bourgeoise. Car elle n’est anti-bourgeoise et prolétarienne que dans l’exacte mesure où la ferme de Marie-Antoinette, au Petit Trianon, est anti-monarchique et paysanne.

Préface de 1971 à la réédition de Pourquoi des philosophes

On parle en France de centralisation excessive : j’ai appris à connaître en Italie les effets paralysants de la décentralisation. Le campanilisme, loin de faire jaillir “l’universel du local”, ne conduit qu’à l’obstruction et au pédantisme.

En France, page 148

Sartre et Revel n’ont pas de tendresse aveugle pour leurs oeuvres réciproques. Revel a toujours pensé qu’il y avait plus de bonne philosophie dans Le Rouge et le Noir que dans tous les ouvrages du regretté Blondel [Maurice, précise Bernard Frank en note de bas de page]. Eh bien, Sartre semble donner raison à Revel. Il fait appel aux écrivains pour tenter de renflouer cette vieille péniche nostalgique qu’est la philosophie, en train de sombrer dans je ne sais quel canal Saint-Martin.

Bernard Frank, En soixantaine, Julliard, page 229

Reveliste

Bernard Pivot, JDD, 6 novembre 2016, page 33

La métaphysique de partouze m’a toujours semblé, comme la poésie du bordel, le stigmate du sous-développé amoureux.

Pour l’Italie, 10/18, 1965, page 12

Revel dans un article assez vif de L’Express (en général , les professeurs, lorsqu’ils parlent des travaux du voisin, sont d’une exquise urbanité ! Je ne connais que les cinéastes de la “nouvelle vague” pour être encore plus neutres les uns avec les autres) a exprimé une certaine gêne devant La Philosophie des professeurs. Il aurait trouvé la critique excellente, si elle avait été dite en 1950. Il est vrai que cette description, souvent fine et moqueuse, manque un peu d’amour-propre et de chair. C’est d’ailleurs le côté gentleman de Châtelet qui fait les délices de Gilles Lapouge dans Le Monde : “Le premier mérite du pamphlet de Châtelet est de ne pas être seulement un pamphlet. De ce genre, il conserve l’alacrité, le radicalisme et la salubrité littéraire, mais il évacue l’attaque ad hominem, la mauvaise foi et l’amertume.” Souhaitons que M. Lapouge n’ait jamais lu pour le repos de son âme Les Provinciales de Pascal ou la lettre à l’auteur des visionnaires de l’affreux Racine. Il m’a semblé que Revel dans le deuxième tome de son Histoire de la philosophie tenait, comme disait Roger Vailland, la forme, autant que mes médiocres connaissances en philosophie m’autorisent à lui délivrer de pareils brevets. Qu’il possédait parfaitement son sujet. On dit souvent de Revel, dans les milieux généralement bien informés de la philosophie, que c’est un jouisseur, un hédoniste des idées, on parle de son scepticisme blasé. L’affable Châtelet apporte son eau rougie à l’eau déjà tiède de ce triste moulin : “A enterrer la philosophie comme J. F. Revel, on suscite des veuves et des orphelins qui font tant de bruit qu’on se trouve en pire posture qu’auparavant.” En lisant son Histoire, je me suis demandé s’il n’y avait pas maldonne, si ce n’était pas Revel justement plutôt que ses détracteurs qui avait une réelle passion pour la philosophie. […] Je prie les étudiants de lire et de relire les cours magistraux que leur offre Revel sur Spinoza, Leibniz et Malebranche. Ils sont sûrs d’avoir 18 ou une mention à leurs examens. […] Mais qu’aime donc Revel ? Montaigne, Galilée par exemple. Des hommes qui nous apprennent des choses vraies et qui, après leur passage, n’ont pas cru devoir fermer avec colère les portes du savoir.

Bernard Frank, En soixantaine, pages 311-312

Italien né à Paris, dans une famille originaire de Torre del Greco, en Campanie, Silvio avait grandi rue Vercingétorix, à Montparnasse, et mariait, dans sa physionomie, sa gestuelle et son élocution d’une perpétuelle mobilité, le titi parisien et le farceur napolitain. Venu de France s’installer en Italie à vingt-cinq ans, il connaissait de l’intérieur toute l’intimité des deux langues, des deux civilisations, des deux mentalités, des deux littératures, des deux peintures. Elevé dans la pauvreté extrême d’une famille immigrée, il était une réfutation vivante, et loin d’être la seule que j’ai rencontrée, du poncif sociologique selon lequel seule la naissance dans la classe privilégiée ouvre l’accès à la culture. Si tous les bourgeois et aristocrates que j’ai connus, les mondains et et mondaines millionnaires dont les propos de table ont si gravement altéré ma santé avaient possédé le centième de la culture directe et fine de Silvio, sans parler de tant d’universitaires et d’intellectuels, cultivés par profession mais non par vocation, alors l’humanité entière siègerait au Parnasse, entre Apollon et les Muses.

Portrait de Silvio Loffredo, dédicataire de Pour l’Italie, in Le voleur dans la maison vide, chapitre “Célibataire italien”

Comme dans la plupart des vies il ne se passe rien…

Histoire de Flore

Prenez le cas de deux amis inséparables : tout le monde vous dira que cette amitié repose sur une certaine communauté de goûts, d’intérêts, d’idées, etc. Or il est facile de se convaincre qu’il n’en est rien, après un minimum d’observation, que l’intimité des deux amis ne se fonde pas sur une telle affinité mais sur le fait que l’un des deux compères est subjugué par l’autre.

Revel dans Loin de moi, de Clément Rosset, pages 52-53

On dit couramment d’un médecin, d’un physicien qu’ils sont cultivés parce qu’ils ont lu Dostoïevski et Proust, on ne dit jamais d’un écrivain qu’il est cultivé parce qu’il connaît le deuxième principe de la thermo-dynamique ou les symptômes de la sclérose en plaques. Il est cultivé parce qu’il est lui-même. Sa culture deviendra exceptionnelle si elle est en outre philosophique, artistique ou historique. Mais nul ne la considèrera comme douteuse s’il se révèle incapable de répondre à la question suivante : “Avez-vous une idée du rôle de l’A.D.N. en biologie moléculaire ?” ce qui, en transposant, revient à demander : “Avez-vous lu au moins une tragédie de Shakespeare?”

Les idées de notre temps, page 37

Revel. Il a ce pouvoir de me faire réfléchir deux fois plutôt qu’une sur ce que je viens d’avancer. Il me fait réfléchir quand il est trop tard, quand la bêtise est faite. Et c’est le propre du moraliste. Bonne occasion de signaler son dernier ouvrage “La Connaissance inutile” (chez Grasset), plus touffu plus documenté que les autres.

Bernard Frank, pages 641-642, in 5 rue des Italiens

De tous les critiques, le plus musclé, le plus bagarreur. Son crochet du gauche fait terriblement mal. Grâce à des études de philosophie, il ne craint pas de boxer la tête en avant – et pourtant il y a dans ses échanges une clarté d’autant plus méritoire qu’il ne parle généralement que d’ouvrages de philosophie et d’essais sur les sciences humaines. Quelquefois sèchement injuste, ce qui nous change agréablement de l’énorme sucrerie dans laquelle baignent ses confrères. Quand il lève au-dessus de sa tête les deux bras d’un auteur dont le livre a gagné, cela se remarque.

Bernard Pivot dans Les critiques littéraires, Flammarion, 1968, page 223

Tout de même, mon cher (ce fameux tout de même qui est la locution usuelle par laquelle l’esprit paresseux repousse globalement la prise en considération d’un fait nouveau pour lui, et se contente de réaffirmer purement et simplement le préjugé antérieur)

Pour l’Italie, page 57

Qui ne s’ennuie pas fortement ne peut jouir fortement. Les loisirs tuent l’ennui en le paralysant par l’activité.

Contrecensures

C’est un peu triste : nous avions un spécialiste des Etats-Unis qui s’appelait Tocqueville ; aujourd’hui, c’est José Bové.

Interview

La société française a progressé vers l’égalité des sexes dans tous les métiers, sauf le métier politique. Les coupables de cette honte croient s’amnistier ( ils en ont l’habitude ) en torturant la grammaire. Il ont trouvé le sésame démagogique de cette opération magique : faire avancer le féminin faute d’avoir fait avancer les femmes.

Article, 1998

La vertu, comme le moralisme, consiste à se draper dans le Bien. La morale consiste à le faire, ou à éviter de faire le Mal.

Article

A propos du chianti :” C’était un vin de collines et d’air vif qui fleurait l’origan, la grive et l’olivier. C’est devenu un vin d’aéroports et de minibar.

Article

Pourquoi les hommes éprouvent-ils le besoin de construire des régimes qui les détruisent ?

Article

Qu’est-ce qui fait un grand essai ? La coïncidence d’une intuition, d’une démonstration et d’un style.

Article

J’ai croisé beucoup de gens remarquables qui ne sont jamais devenus célèbres et beaucoup de gens célèbres qui n’étaient pas remarquables du tout.

Le Voleur dans la maison vide

Tant que la gauche n’aura pas saisi que Winston Churchill était plus à gauche que Jo Staline, elle ne s’en sortira pas.

A l’Est comme à l’Ouest, le risque pour les réformes, ce n’est pas le retour de Marx, c’est le populisme nationaliste, anarchique et démagogique.

Article, 1993