Jean-François Revel

Friedrich August von Hayek

Oeuvre

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Biographie

Introduction

F.A. Hayek est l’homme, avec notamment Von Mises, qui a permis au libéralisme, que beaucoup nomment péjorativement “néo-libéralisme”, de renaître au vingtième siècle, période la plus totalitaire de l’histoire. Il ne faut pas oublier en effet que seul le système libéral s’oppose au totalitarisme, qu’il soit communiste ou nazi.(NdR: Plus qu’un “néo-libéralisme”, qui sous-entend une copie avariée adaptée à l’époque, il s’agit au contraire d’un retour aux sources du libéralisme qui s’est produit par l’entremise de ces auteurs. Rétroactivement, on pourrait penser que le néo-libéralisme a pris la forme du keynésiannisme, né dans les années 30.)

Hayek a dénoncé dans tous ses écrits toutes les folies de son siècle, que ce soit le fascisme, le socialisme, ou le communisme.

Il est présenté comme un économiste mais sa pensée dépasse largement ce cadre. Pluridisciplinaire, il a tenté de décrire l’Homme tel qu’il est.

I – Sa vie

Né en 1899 dans une famille très cultivée de la Haute Bourgeoisie Viennoise, il présente une intelligence vive et précoce; sa scolarité se déroule rapidement, et il entre à l’université de Vienne à 16 ans. En 1921, il obtient deux doctorats, en présentant une thèse de droit et une de science politique.

Il devient fonctionnaire dans l’administration autrichienne, à la chambre de commerce ; C’est à cette période que Ludwig Von Mises devient son maître de pensée.
Mises est un penseur politique influent de son époque, et il initie Hayek, alors socialisant, au libéralisme. En 1929, celui-ci obtient une chaire de professeur d’économie à Vienne. Il présente
déjà de très grandes qualités d’analyse.

De retour des USA en 1929, il publie un article annonçant une crise majeure: ce sera le “crack” boursier. Il est alors le seul à le prévoir.

En 1931, il fuit le nazisme et se réfugie en Grande Bretagne ou il obtient un poste de professeur à la London School of Economics. Il y restera jusqu’en 1950.

C’est durant la période Londonienne qu’il publie “La route de la servitude” (“The road to Serfdom“). Il y démontre, pour la première fois, l’affiliation entre marxisme,
socialisme, communisme, fascisme, et nazisme, systèmes qui suivent tous la même logique constructiviste et qui aboutissent inévitablement à une société totalitaire ou l’homme n’est plus le but du système mais un esclave. Son analyse est très avancée pour son temps car il critique les politiques interventionnistes et planificatrices, qui sont alors suivies plus ou moins par presque tous les états du monde, même ceux supposés libres.
Une polémique naît entre Keynes et lui. Keynes, contrairement à Hayek, pense que l’interventionnisme de l’état est nécessaire en cas de crise.
Les propos non-interventionnistes de Hayek sont rejetés par les hommes politiques et l’intelligentsia, qui lui préfèrent les solutions keynesiennes, plus faciles à mettre en place, et avantageuses pour eux, moralement et électoralement parlant.
Hayek se retrouve alors rejeté et sa pensée devient minoritaire.
En 1950, il part s’installer à Chicago, berceau du libéralisme, ou l’université lui offre la chaire de science morale et sociale.
Durant cette période de douze ans, il lance sa croisade contre la théorie keynésienne.
Il commencera à être écouté à la fin des années 70 en Grande Bretagne et aux Etats-Unis, où Ronald Reagan s’en inspire fortement pour mettre en place sa politique économique. S’en suivent là-bas une croissance ininterrompue de neuf ans. En France, sa politique ne fut jamais appliquée, de quelque manière que ce soit.

En 1962, il quitte les Etats-Unis et rentre en Allemagne ou il enseigne l’économie cinq ans, puis se fixe définitivement à Salzbourg en Autriche.

En 1974 il obtient le prix Nobel d’économie pour son analyse cyclique des marchés financiers. Cette distinction lui permet de mieux faire connaître son oeuvre politique.
Hayek est tout ensemble un philosophe, historien, juriste, économiste, politologue, ce qui lui donne une capacité d’analyse à plusieurs niveaux et lui permet de lier ces matières entre elles. Selon lui, un économiste qui se cantonne à sa matière est un mauvais économiste.
Au sein de l’association du Mont Pélerin il réfléchit à la construction d’une doctrine libérale pour faire contre poids à la doctrine marxiste et socialiste. Il naît de là ce que certains appellent “néo-libéralisme”, qui n’est pas qu’une vision moderne du Laissez-faire Laissez-passez ; c’est aussi et surtout une pensée politique apportant à l’époque des réponses nouvelles, en s’inspirant des sources du Libéralisme, à la question des limites devant être apportées au pouvoir politique et à ses finalités.

Sa retraite prise, il va étudier l’Homme dans toute sa substance; il reprend des études en biologie (neurologie, psychiatrie) afin de s’armer pour tenter de résoudre le problème central de son oeuvre, qui est celui des relations des individus entre eux, l’influence du groupe sur l’individu, et la dialectique Liberté-Egalité.

F.A. Hayek meurt le 23 mars 1992. Il sera salué par bon nombre de penseurs et hommes politiques.

II – Son Oeuvre et Pensée

L’apport de la pensée de Hayek est multiple.

Il va renouveler la pensée politique en en démontrant ses limites à penser le politique. Ainsi, à la place du système politique traditionnel, il présente le marché comme lieu d’échange des idées, et comme seul indicateur politique de coordination sociale.

En second lieu, il va très largement participer à la construction de la théorie de l’état de droit qui passerait par la création d’une Constitution qui la garantirait. C’est une théorie politique et pas seulement juridique que Hayek développe ici.
Par là, Hayek propose une nouvelle armature de la mise en oeuvre du pouvoir politique, et une nouvelle lecture de ce qu’est réellement le Droit.

A/ La démonstration de la supériorité de l’ordre individuel spontané sur l’ordre collectif décrété.

Hayek considère qu’il est impossible de percevoir l’ordre politique. Seul le marché est susceptible de coordonner les individus dans la société.
Ce faisant, il pose l’impératif moral du marché, accepte l’inégalité qui en découle, et rejette toute forme d’interventionnisme public qui aurait pour but d’organiser la société d’en haut.

Le seul véritable débat quant à la vision de la société est entre l’ordre “spontané” et l’ordre “constructiviste”. Dans l’ordre spontané, le primat est de faire confiance à l’individu et de ne pas tenter de prévoir l’avenir. Chaque l’homme est ainsi libre et maître de sa vie.

1 – L’affirmation de l’impossible connaissance du tout.

Hayek part du constat qu’il ne peut y avoir comprehension rationnelle du système social dans son ensemble: “La société est une réalité donnée que les individus ne peuvent pas appréhender car il existe toujours quelque chose de plus grand que nous ne pouvons pas comprendre”. Cette idée sera constamment reprise dans son oeuvre.
Cette position remet totalement en cause toutes les théories rationalistes et constructivistes selon lesquelles par son intelligence et grâce aux progrès des sciences et techniques l’homme serait capable de comprendre le monde, de mettre à jour ses lois de fonctionnement et de devenir potentiellement maître de son destin.

Au-delà de cette prétention à la maîtrise des choses, l’impossibilité physiologique pour l’homme interdit toute prétention à une possible action politique valide pour l’ensemble d’un groupe d’individus donné.

Les gouvernants ne pouvant détenir l’ensemble des informations en circulation et ne pouvant les traiter, toute prétention à prédéterminer et à conditionner le corps social apparaît absurde car impossible.
Malgré cette impossibilité, les sociétés même les plus complexes fonctionnent pourtant comme un tout organisé.

Il faut se poser la question de l’origine de cette rationalité. Serait-elle spontanée?

2 – Reconnaissance du marché comme seul système de rationalité sociale.

Le marché n’est pas simplement un “lieu” anonyme où s’échangent biens et services, ou un simple mécanisme statique de répartition des pénuries.

C’est simultanément un instrument dynamique de mobilisation, de production et de diffusion des informations, et un instrument permettant la connaissance du tout pour apparaître comme un système de régulation du tout.

Le marché est d’abord un système d’échange des informations et messages.

Ceux-ci sont produits par les individus qui jouent un rôle central dans la chaîne des décisions individuelles et dans le processus social d’apprentissage.

La circulation de ces informations mène progressivement à la coordination des projets individuels et in fine à la coordination équilibrée du corps social.
Le marché constitue donc le seul système permettant le fonctionnement harmonieux de l’ordre spontané, c’est-à-dire la possibilité pour des individus isolés de produire des touts complexes sans jamais se connaître.

Hayek induit que le seul moyen de communication global permettant le fonctionnement du marché est le prix des biens et des services.

Les prix constituent l’indicateur essentiel de coordination de l’ordre spontané, pas seulement la valeur des choses. C’est un producteur de signaux, qui auront des effets plus ou moins décourageants sur l’initiative humaine.

Chacun est libre d’utiliser les informations dont il dispose pour poursuivre ses propres finalités.

Le concept de liberté est l’une des valeurs associées au système de prix. C’est un concept limité, contingent et non absolu: L’homme, même libre, n’a pas d’autres choix que de s’adapter aux forces aveugles du processus social, c’est-à-dire du marché.
Ces forces du marché, qui sont des limites à la liberté de l’homme, ne peuvent être pensées comme l’équivalent d’une tyrannie personnelle ou collective (tel un système démocrate majoritaire).
C’est un moindre mal.

Ces forces naturelles du marché s’appliquent à tous de manière non-discriminatoire, alors que la soumission arbitraire à la volonté d’un seul, ou d’un groupe d’hommes, est forcément injuste.

Le marché est donc la moins mauvaise solution pour respecter la liberté. Il pousse tous les individus à donner sans relâche le meilleur d’eux-même.
Le marché, le mécanisme des prix et la liberté sont les piliers de l’ordre spontané.
Cet ordre n’est que le résultat du fonctionnement naturel de la société.

Il accepte ainsi l’Homme tel qu’il est.

3 – L’impératif moral du marché et l’acceptation de l’inégalité.
Hayek insiste sur l’impératif pour les individus de vouloir se soumettre à la discipline constituée par la morale du marché.

Or la morale commerciale qui soutient cette soumission repose nécessairement sur l’acceptation de l’inégalité entre les individus.
L’inégalité est une réalité spontanée car l’humanité n’aurait pu croître et se maintenir sans.

En conséquence la réalisation de l’ordre spontané est sans rapport avec la notion de justice sociale, qui nécessairement est artificielle et dirigée par une intervention politique.
Toute intervention politique recherchant un objectif de justice sociale se ferait au détriment de la liberté des individus car elle pertuberait l’ordre naturel du marché.

4 – Le rejet radical de tout interventionnisme d’état.

L’ordre né du chaos, l’agencement spontané des informations conduit à un ordre supérieur.

Nous avons vu plus haut que l’interventionnisme politique tendant à se substituer au marché est absurde car matériellement impossible et par là inefficace.

Ainsi, la seule politique valide doit se limiter à permettre le bon fonctionnement du marché et de favoriser l’initiative individuelle.
Là où l’initiative est libre, où l’ordre spontané est en place, le progrés économique, social, politique, culturel est toujours supérieur au résultat obtenu par un ordre planificateur ou centralisé.
Le libéralisme est scientifiquement supérieur au socialisme.

B/ La conception de l’état de droit.

Cette conception de l’état part du triste constat de la décadence des démocraties représentatives.
Il est nécessaire d’envisager une nouvelle architecture institutionnelle du pouvoir politique et du Droit.

1 – La décadence des démocraties représentatives.

Hayek relève que la démocratie est devenu un fétiche sur lequel il est désormais devenu interdit de s’interroger.
Initialement les démocraties étaient bien encadrées par une Constitution ou la coutume, mais peu à peu les pouvoirs d’intervention politique sont devenus illimités:

Par une déviance reposant notamment sur une interprétation discutable du concept de nation ou de peuple, les gouvernants se sont reconnus la possibilité de tout faire, sous le prétexte que la majorité est souveraine.
La majorité a ainsi remplacé la Loi.
Derrière les programmes électoraux, il n’ya plus que l’attente semée dans les esprits de l’électeur de la générosité plus ou moins grande du futur législateur.

Le gouvernement est devenu une institution de bienfaisance exposé aux chantages des intérêts organisés.
L’homme politique n’est plus le représentant de l’intérêt général mais le gestionnaire d’un fonds de commerce.

D’un point de vue social, cette situation fausse l’ordre spontané et est ainsi non optimale.

Mais surtout, les démocraties sont devenues immorales, injustes et tendent à devenir totalitaires.
Les citoyens ont cessé d’être autonomes, libres pour dépendre des bienfaisances d’un état supposé capable de faire le bonheur de tous, en réalité conduisant à terme à l’appauvrissement général et au malheur.
La démocratie s’est lentement pervertie par confusion de l’idéal démocratique et de la tyrannie de la majorité.

2 – Une nouvelle architecture institutionnelle.
Afin de retrouver l’idéal démocratique, il faut une organisation politique nouvelle mettant le pouvoir à l’abri de l’interventionnisme.
Cela implique un relecture de la théorie de la séparation des pouvoirs.

Il faudrait selon Hayek, si le gouvernement est conçu comme l’exécutif de la majorité d’une assemblée élue, que les fonctionnaires soient interdits de participer à l’élection des membres de cette assemblée gouvernementale.

Il s’agit de dissocier totalement la fonction législative de la fonction gouvernementale exécutive. Ainsi l’interventionnisme économique sera limité puisque les interventions du gouvernement ne pourront être traduites en lois.

3 – Une nouvelle conception de la loi:

Il faut distinguer les sources réelles du Droit des sources formelles.

La législation, comme la jurisprudence, (droit positif), ne sont que des sources formelles du droit.
Elles devraient n’être que des procédés techniques de constatation du Droit.

Le Droit réel est antérieur au droit positif. C’est le produit des forces sociales spontanées. Ce doit être l’oeuvre de la société et non pas de l’Etat.

Dans ce système, les règles juridiques élaborées par l’Etat n’auront d’autre fonction que de traduire dans le langage du droit positif les normes produites par les forces sociales.

En conséquence, le rôle de l’assemblée législative sera limité à transcrire en législation le droit produit par l’ordre spontané. Elle devra assurer le respect du régime général applicable à tous, indépendamment de la connaissance des circonstances concrètes et particulières qui motiveront leur application.

De fait son activité sera extrêmement faible.

La société génère elle-même le droit nécessaire à son fonctionnement.

Remerciements à Laeticia B. et Stéphane B. pour leurs cours.