A l’occasion de la publication de L’Abécédaire de Jean-François Revel par les éditions Allary, nous reproduisons ici des citations dans l’esprit du recueil.
Le grand phénomène dans l’antilibéralisme, c’est la convergence entre l’extrême droite et l’extrême gauche. Le Front national est antilibéral; il est contre la mondialisation. Ce député, qui est, je crois, dans le groupe Pasqua, l’est également. Quand il dit tous les journalistes sont vendus au pouvoir politique et le pouvoir politique est vendu au grand capital, c’est du Bourdieu.
Libéral, Revel s’est toujours autant opposé à la droite nationaliste qu’à la gauche marxiste. En mars 2000, sur un plateau de télévision, il répond aux diatribes de Paul-Marie Coûteaux, souverainiste alors député européen, contre les élites supposées acquises au libre-échangisme. Cette citation aurait pu s’insérer dans la rubrique “convergence”.
Émission Le Gai Savoir sur la chaîne Paris Première, 5 mars 2000
Disparition du texte, disparition des acteurs, négation de la troisième dimension, remise en question de tout ce qui est théâtre.
Pour constater l’évolution de la Scène
Christian Bourgois m’apprend que vous avez poussé la gallophobie jusqu’à vous rendre acquéreur de 500 exemplaires de mon livre sur la France et que vous préméditez la mauvaise action d’offrir ces exemplaires à des responsables de notre jeunesse. Je ne saurais trop vous remercier pour cette mauvaise action, tout en redoutant les suites pour le moral national.
Lettre à Henri Bordas, 14/12/65, à propos d’En France
Son koulibiak auprès duquel celui de Fauchon devrait être renvoyé au wagon-restaurant. Un plat marqué par un mélange de probité totale et d’authentique esprit de finesse.
Observation gastronomique
Philosopher n’est pas régner sur les connaissances du reste du genre humain comme un lointain propriétaire terrien sur des domaines qu’il administre nonchalamment et ne visite jamais.
Pourquoi des philosophes
La fonction idéologique de Tel Quel est très nette: elle consiste à fabriquer une culture bourgeoise en la présentant comme anti-bourgeoise. Car elle n’est anti-bourgeoise et prolétarienne que dans l’exacte mesure où la ferme de Marie-Antoinette, au Petit Trianon, est anti-monarchique et paysanne.
Préface de 1971 à la réédition de Pourquoi des philosophes
On parle en France de centralisation excessive : j’ai appris à connaître en Italie les effets paralysants de la décentralisation. Le campanilisme, loin de faire jaillir “l’universel du local”, ne conduit qu’à l’obstruction et au pédantisme.
En France, page 148
Sartre et Revel n’ont pas de tendresse aveugle pour leurs oeuvres réciproques. Revel a toujours pensé qu’il y avait plus de bonne philosophie dans Le Rouge et le Noir que dans tous les ouvrages du regretté Blondel [Maurice, précise Bernard Frank en note de bas de page]. Eh bien, Sartre semble donner raison à Revel. Il fait appel aux écrivains pour tenter de renflouer cette vieille péniche nostalgique qu’est la philosophie, en train de sombrer dans je ne sais quel canal Saint-Martin.
Bernard Frank, En soixantaine, Julliard, page 229
Reveliste
Bernard Pivot, JDD, 6 novembre 2016, page 33
La métaphysique de partouze m’a toujours semblé, comme la poésie du bordel, le stigmate du sous-développé amoureux.
Pour l’Italie, 10/18, 1965, page 12
Revel dans un article assez vif de L’Express (en général , les professeurs, lorsqu’ils parlent des travaux du voisin, sont d’une exquise urbanité ! Je ne connais que les cinéastes de la “nouvelle vague” pour être encore plus neutres les uns avec les autres) a exprimé une certaine gêne devant La Philosophie des professeurs. Il aurait trouvé la critique excellente, si elle avait été dite en 1950. Il est vrai que cette description, souvent fine et moqueuse, manque un peu d’amour-propre et de chair. C’est d’ailleurs le côté gentleman de Châtelet qui fait les délices de Gilles Lapouge dans Le Monde : “Le premier mérite du pamphlet de Châtelet est de ne pas être seulement un pamphlet. De ce genre, il conserve l’alacrité, le radicalisme et la salubrité littéraire, mais il évacue l’attaque ad hominem, la mauvaise foi et l’amertume.” Souhaitons que M. Lapouge n’ait jamais lu pour le repos de son âme Les Provinciales de Pascal ou la lettre à l’auteur des visionnaires de l’affreux Racine. Il m’a semblé que Revel dans le deuxième tome de son Histoire de la philosophie tenait, comme disait Roger Vailland, la forme, autant que mes médiocres connaissances en philosophie m’autorisent à lui délivrer de pareils brevets. Qu’il possédait parfaitement son sujet. On dit souvent de Revel, dans les milieux généralement bien informés de la philosophie, que c’est un jouisseur, un hédoniste des idées, on parle de son scepticisme blasé. L’affable Châtelet apporte son eau rougie à l’eau déjà tiède de ce triste moulin : “A enterrer la philosophie comme J. F. Revel, on suscite des veuves et des orphelins qui font tant de bruit qu’on se trouve en pire posture qu’auparavant.” En lisant son Histoire, je me suis demandé s’il n’y avait pas maldonne, si ce n’était pas Revel justement plutôt que ses détracteurs qui avait une réelle passion pour la philosophie. […] Je prie les étudiants de lire et de relire les cours magistraux que leur offre Revel sur Spinoza, Leibniz et Malebranche. Ils sont sûrs d’avoir 18 ou une mention à leurs examens. […] Mais qu’aime donc Revel ? Montaigne, Galilée par exemple. Des hommes qui nous apprennent des choses vraies et qui, après leur passage, n’ont pas cru devoir fermer avec colère les portes du savoir.
Bernard Frank, En soixantaine, pages 311-312
Italien né à Paris, dans une famille originaire de Torre del Greco, en Campanie, Silvio avait grandi rue Vercingétorix, à Montparnasse, et mariait, dans sa physionomie, sa gestuelle et son élocution d’une perpétuelle mobilité, le titi parisien et le farceur napolitain. Venu de France s’installer en Italie à vingt-cinq ans, il connaissait de l’intérieur toute l’intimité des deux langues, des deux civilisations, des deux mentalités, des deux littératures, des deux peintures. Elevé dans la pauvreté extrême d’une famille immigrée, il était une réfutation vivante, et loin d’être la seule que j’ai rencontrée, du poncif sociologique selon lequel seule la naissance dans la classe privilégiée ouvre l’accès à la culture. Si tous les bourgeois et aristocrates que j’ai connus, les mondains et et mondaines millionnaires dont les propos de table ont si gravement altéré ma santé avaient possédé le centième de la culture directe et fine de Silvio, sans parler de tant d’universitaires et d’intellectuels, cultivés par profession mais non par vocation, alors l’humanité entière siègerait au Parnasse, entre Apollon et les Muses.
Portrait de Silvio Loffredo, dédicataire de Pour l’Italie, in Le voleur dans la maison vide, chapitre “Célibataire italien”
Comme dans la plupart des vies il ne se passe rien…
Histoire de Flore
Prenez le cas de deux amis inséparables : tout le monde vous dira que cette amitié repose sur une certaine communauté de goûts, d’intérêts, d’idées, etc. Or il est facile de se convaincre qu’il n’en est rien, après un minimum d’observation, que l’intimité des deux amis ne se fonde pas sur une telle affinité mais sur le fait que l’un des deux compères est subjugué par l’autre.
Revel dans Loin de moi, de Clément Rosset, pages 52-53
On dit couramment d’un médecin, d’un physicien qu’ils sont cultivés parce qu’ils ont lu Dostoïevski et Proust, on ne dit jamais d’un écrivain qu’il est cultivé parce qu’il connaît le deuxième principe de la thermo-dynamique ou les symptômes de la sclérose en plaques. Il est cultivé parce qu’il est lui-même. Sa culture deviendra exceptionnelle si elle est en outre philosophique, artistique ou historique. Mais nul ne la considèrera comme douteuse s’il se révèle incapable de répondre à la question suivante : “Avez-vous une idée du rôle de l’A.D.N. en biologie moléculaire ?” ce qui, en transposant, revient à demander : “Avez-vous lu au moins une tragédie de Shakespeare?”
Les idées de notre temps, page 37
Revel. Il a ce pouvoir de me faire réfléchir deux fois plutôt qu’une sur ce que je viens d’avancer. Il me fait réfléchir quand il est trop tard, quand la bêtise est faite. Et c’est le propre du moraliste. Bonne occasion de signaler son dernier ouvrage “La Connaissance inutile” (chez Grasset), plus touffu plus documenté que les autres.
Bernard Frank, pages 641-642, in 5 rue des Italiens
De tous les critiques, le plus musclé, le plus bagarreur. Son crochet du gauche fait terriblement mal. Grâce à des études de philosophie, il ne craint pas de boxer la tête en avant – et pourtant il y a dans ses échanges une clarté d’autant plus méritoire qu’il ne parle généralement que d’ouvrages de philosophie et d’essais sur les sciences humaines. Quelquefois sèchement injuste, ce qui nous change agréablement de l’énorme sucrerie dans laquelle baignent ses confrères. Quand il lève au-dessus de sa tête les deux bras d’un auteur dont le livre a gagné, cela se remarque.
Bernard Pivot dans Les critiques littéraires, Flammarion, 1968, page 223
Tout de même, mon cher (ce fameux tout de même qui est la locution usuelle par laquelle l’esprit paresseux repousse globalement la prise en considération d’un fait nouveau pour lui, et se contente de réaffirmer purement et simplement le préjugé antérieur)
Pour l’Italie, page 57
Qui ne s’ennuie pas fortement ne peut jouir fortement. Les loisirs tuent l’ennui en le paralysant par l’activité.
Contrecensures
C’est un peu triste : nous avions un spécialiste des Etats-Unis qui s’appelait Tocqueville ; aujourd’hui, c’est José Bové.
Interview
La société française a progressé vers l’égalité des sexes dans tous les métiers, sauf le métier politique. Les coupables de cette honte croient s’amnistier ( ils en ont l’habitude ) en torturant la grammaire. Il ont trouvé le sésame démagogique de cette opération magique : faire avancer le féminin faute d’avoir fait avancer les femmes.
Article, 1998
La vertu, comme le moralisme, consiste à se draper dans le Bien. La morale consiste à le faire, ou à éviter de faire le Mal.
Article
A propos du chianti :” C’était un vin de collines et d’air vif qui fleurait l’origan, la grive et l’olivier. C’est devenu un vin d’aéroports et de minibar.
Article
Pourquoi les hommes éprouvent-ils le besoin de construire des régimes qui les détruisent ?
Article
Qu’est-ce qui fait un grand essai ? La coïncidence d’une intuition, d’une démonstration et d’un style.
Article
J’ai croisé beucoup de gens remarquables qui ne sont jamais devenus célèbres et beaucoup de gens célèbres qui n’étaient pas remarquables du tout.
Le Voleur dans la maison vide
Tant que la gauche n’aura pas saisi que Winston Churchill était plus à gauche que Jo Staline, elle ne s’en sortira pas.
A l’Est comme à l’Ouest, le risque pour les réformes, ce n’est pas le retour de Marx, c’est le populisme nationaliste, anarchique et démagogique.
Article, 1993
Le 14 novembre 1997, le philosophe, écrivain et journaliste Jean-François Revel, qui a inventé la formule « La comparaison interdite : communisme et nazisme », a déclaré dans le journal Le Figaro :
« Être assassiné par Pol Pot est-il moins grave que d’être assassiné par Hitler ? Il n’y a pas lieu d’établir de distinction entre les victimes des totalitarismes “noir” ou “rouge”. Le totalitarisme nazi n’a pas fait mystère de ses intentions : il entendait éliminer la démocratie, régner par la force et développer tout un système de persécutions raciales. On nous dit que les communistes avaient un idéal. Je suis presqu’enclin à trouver cela encore pire. Parce que cela signifie que l’on a délibérément trompé des millions d’hommes. Parce que l’on a ajouté ainsi aux crimes le mensonge le plus abject ».
Et Revel résume sa pensée dans cette autre formule : « Le communisme, c’est le nazisme, le mensonge en plus ».
Il y a une chose à laquelle on ne songe jamais assez souvent quand on dit à quelqu’un “vous avez changé” – c’est que le monde aussi change.
Vers 1960-65, il était encore raisonnable par exemple de parier sur une certaine démocratisation de l’Union soviétique.
Il était encore raisonnable de parier sur la libéralisation du Parti communiste français.
Il était raisonnable de parier sur la réussite de certaines expériences dans le tiers-monde, comme Cuba, la Tanzanie ou l’Algérie.
Il était raisonnable de penser que l’autogestion yougoslave avait encore une chance de s’en sortir, que l’expérience chinoise méritait l’intérêt.
Depuis ces dates, toutes les expériences que je viens de citer ont sombré dans une faillite noire. L’URSS a envahi Prague, la Pologne se décompose…
Ce n’est pas un individu qui change, c’est un individu qui tire la leçon des événements.
C’est comme si vous disiez à quelqu’un qui vivait au XVIIe siècle: “Je remarque qu’en 1600 vous étiez persuadé que la terre était immobile, et qu’en 1632 vous croyez maintenant qu’elle tourne. Alors vraiment, vous êtes une girouette!” Mais dans l’intervalle il y a eu Galilée, je m’excuse!
S’il suffisait de conquérir et de piller pour être développé, l’humanité baignerait dans l’opulence depuis deux bons millénaires.”
Préface de L’Occident et le tiers-monde, de Carlos Rangel.
Chercher des valeurs libérales dans l’oeuvre de Revel est comme chercher des thèmes sexuels dans l’oeuvre du marquis de Sade.
Looking for liberal values in Revel’s work is like trying to focus on sexual themes in the Marquis de Sade.
Henri Astier, Spilling the Beans in Paris and London
Remords, faute, culpabilité
(I)l n’est guère de jour où, à table, dans mon lit, dans la rue, sur la grève, je ne pousse un rauque gémissement de repentir et de honte. C’est que revient me mordre le souvenir d’une bêtise fatale, d’une réaction vulgaire, d’un mensonge dégradant, d’une fanfaronnade ridicule dont je me suis rendu coupable, jadis, naguère ou avant-hier.
Voleur dans la maison vide, p. 11
Le temps efface le souvenir des malheurs, jamais celui des fautes.
Voleur dans la maison vide, p. 399
Littérature: amour personnel v. manuels pour potaches
Liseur précoce, je n’eus bientôt que faire des fades résumés d’histoire littéraire destinées à des élèves dont la majorité manquait de toute sensibilité personnelle pour les lettres. La plupart des professeurs mêmes en sont dépourvus, y compris, comme je l’ai remarqué plus tard, dans l’enseignement supérieur. Ils peuvent posséder l’éridition, la compétence, la méthode, mais on en trouve à peine un sur dix qui soit un véritable connaisseur, avec qui l’on aurait envie de parler d’un livre, pour savoir ce qu’il en pense, découvrir l’éclairage insoupçonné que projette sur l’oeuvre sa perception personnelle. Si les conaissances littéraires ne sont pas les mêmes chez tous les hommes, parce que tous n’en font pas leur métier, les connaisseurs sont en proportion sensiblement égale chez les universitaires et dans le commun des lecteurs… J’ai haï et fui dès l’âge de raison les manuels d’histoire littéraire dont les auteurs ont l’art de rendre plat tout ce qu’ils touchent et transforment les fleurs les plus éclatantes en grisâtres serpillères. Ce sont des très sûres machines à détourner la jeunesse de tout amour des lettres, à force de réduire les oeuvres à des clichés, fussent-ils d’avant-garde… Le manuel tue l’envie de lire.
Voleur…, p. 16
Sur la félicité de la vie d’hôtel
Sur la “félicité” de la vie d’hôtel, à l’abri des emmerdements domestiques qui “m’ont dévoré le foie et moulu l’encéphale.” Que de journées démolies par les imprévus de l’immobilier! A l’hôtel, vous ne vous préoccupez ni des assurances, ni des taxes, ni du ménage, ni du blanchissage, ni des factures d’électricité. Vous les payez, sans doute, inclus dans votre note, mais vous ne vous en occupez pas… Vous n’avez pas à courir vous-même après d’inabordables plombiers, vitriers ou couvreurs, ni à éconduire vous-même les importuns. En payant, à l’hôtel, on achète l’insouciance; à domicile, en payant, on achète les soucis.”
Voleur…, p. 24
Compagnons de routes et “demi-portions” du totalitarisme
Je l’ai souvent observé, ceux qui sont allés jusqu’au bout du stalinisme deviennent les plus lucides et les plus sévères envers eux-mêmes après en être revenus. Au contraire, les “compagnons de route”, les demi-portions du totalitarisme prétendent enterrer leurs aberrations et leurs mensonges en les justifiant par le “contexte” et les circonstances.
Voleur…, p. 36
Pluralisme: seul rempart contre l’irrationnalité politique
Ce déjeuner avec Mouillaud (communiste repenti, retrouvé), sans m’éclairer, me confirma que ni l’intelligence ni l’intention de bien faire ne nous préservent du Mal. Le seul barrage au fanatisme meurtrier est de vivre dans une société pluraliste où le contrepoids institutionel d’autres doctrines et d’autres pouvoirs nous empêche toujours d’aller jusqu’au bout des nôtres.
Voleur…, p. 36-37
Le devoir est l’envers du droit
(T)out droit est l’envers d’un devoir. Car tous les citoyens étant égaux devant la loi en démocratie, je ne suis jamais seul à conquérir un nouveau droit. Si je l’ai, c’est que les autres l’ont aussi. Donc le reconnaissant à tous mes concitoyens, je m’engage à le respecter envers eux comme eux envers moi, ce qui borne d’autant la liberté de chacun. Jean-Jacques Rousseau le démontre dans le “Contrat social” avec une irrécusable précision géométrique: en acceptant de jouir d’un droit, j’accepte aussi par avance de subir la punition assortie au viol de ce droit, proportionnelle au tort que j’inflige au corps social.
Le Point, 26 août 1995
Totalitarismes unis dans l’art pompier
L’identité d’essence des trois totalitarismes du XXe siècle, fascisme, naxisme, et communisme, flagrante dans les domaines politique et policier, me parut flagrante également dans la culture. Pourquoi un déterminisme commun poussa-t-il les trois frères vers l’art pompier…? L’explication est, je crois, que le totalitarisme (néologisme forgé par Mussolini en 1922) doit non seulement, comme son nom l’indique, engloberla totalité des activités d’une société et donc l’art, mais encore veiller à ce que cet art accable les “masses” d’un ennui profond, afin qu’il ne constitue pas une distraction susceptible de détourner l’attention collective de la mastication exclusive de l’utopie officielle.
Voleur…, p. 37
Langue : l’anglais juxtapose, le français subordonne
L’anglais juxtapose, le français subordonne. L’anglais peut fréquemment se passer de prépositions entre les mots, voire de conjonctions de coordination entre les propositions alors que le français, héritier de la syntaxe latine, ne saurait s’en dispenser.
L’Obsession antiaméricaine, p. 11
Memes : perpétuation d’une idée fausse
Mais la fausseté n’a jamais empêché une vue de l’esprit de prospérer quand elle soutenue par l’idéologie et protégée par l’ignorance. L’erreur fuit les faits lorsqu’elle satisfait un besoin.
L’Obsession antiaméricaine, p. 25
Liberté de la presse
Lorsqu’un sicaire de la bonne parole entreprend de m’exposer que le monopole d’État, c’est-à-dire le monologue d’État de l’information, exercé directement ou par le biais d’un subterfuge, peut seul mettre la presse et la télévision au service du peuple, car, dit-il, on n’ignore pas ce qu’est la “fausse objectivité” du New York Times, de la Stampa ou ne la NBC, je lui sais gré de m’avertir qu’il a le ferme propos de supprimer l’information et de la remplacer par la propagande. Car il est bien certain qu’il existe une “fausse objectivité”. Mais elle ne peut exister que là où la vraie peut exister aussi. Bertrand Russel a écrit que certaines de certaines propositions qu'”elles ne possèdent même pas le rare privilège d’être fausses”, indiquant par là qu’elles sont trop informes pour être réfutées, qu’elles n’ont pas atteint un degré d’élaboration suffisant pour être des énoncés quelconques, vrais ou faux. La démonstration de la fausseté doit s’appuyer sur un certain degré minimal de cohérence logique.
De la même manière, les sociétés censurées ne peuvent même pas s’offrir le luxe de la “fausse objectivité”, puisqu’elles n’ont pas la vraie. Et, dans les civilisations de la liberté, la mission de lutter contre la ” fausse objectivité ” incombe précisément à la vraie, et non à quelque bureaucratie extérieure à la culture. C’est l’histoire sérieuse qui élimine, ou refoule, l’histoire partiale; c’est le journalisme probe qui peut faire reculer le journalisme vénal, et non point une commission administrative, dont le premire soin est en général de distribuer quelques fonds secrets. Une presse libre n’est pas une presse qui a toujours raison et qui est tounours honnête, pas plus qu’un homme libre n’est un homme qui a toujours raison et qui est toujours honnête. S’il avait fallu, pour autoriser la littérature, attendre d’avoir appris d’abord à en bannir la mauvaise, nous serions envore occupés à corriger le premier jeu d’épreuves de l’histoire de l’imprimerie. Ne pas comprendre que la liberté est une valeur par elle-même, dont l’exercice comporte nécessairement un bon et un mauvais pôle, c’est démontrer que l’on est décidément réfractaire à la culture démocratique.
La Tentation totalitaire, p. 12-3
Absolutisme présidentiel
Être premier ministre de la Ve n’est plus une fonction, c’est une fiction.
L’Absolutisme inefficace, 1992, p. 28
(Voir aussi de Gaulle cité par Peyrefitte dans C’était de Gaulle : “Le gouvernement n’a pas de substance en dehors de moi. Il n’existe que par mon fait. Il ne peut se réunir que si je le convoque, et en ma présence. Vous êtes le porte-parole du gouvernement, c’est à dire le mien.”)
Dans le jargon pseudo-constitutionnel fixé par la routine du régime, on dit que le Premier ministre sert de “fusible” au président… Le recours habituel à cette métaphore équivaut à reconnaître que nous ne sommes pas en démocratie. En effect, la démocratie, c’est la responsabilité. Or parler de fusible, c’est avouer qu’on s’est installé dans une duplicité ou celui qui décide n’est pas tenu pour responsible, et où celui qui est enu pour responsible n’est pas celui qui décide.
L’Absolutisme inefficace, p.35
La Ve n’est pas le fascisme, c’est une démocratie unijamibiste, comme l’était, d’ailleurs, la IVe: simplement, dans la république précédente, ce n’était pas la même jambe qui était atteinte d’éléphantiasis.
L’Absolutisme inefficace, p. 46
Persistance du marxisme
C’est au moment même ou le marxisme perd tout crédit parmi ses adeptes mêmes comme principe de direction des sociétés humaines que, semblable à la lumière dont la source est morte depuis des millions d’années, il brille de son éclat le plus vif sur le theâtre idéologique.
La Connaissance inutile, p. 130
le mensonge idéologique consiste (dans les pays developpés) a poursuivre les vieilles diatribes contre le capitalisme, tout en sachant… que l’on n’a rien pour le remplacer.
La Connaissance inutile, p. 154
Idéologie comme dispensation morale
L’absolution idéologique du meurtre et du génocide est bien connue des historiens. On mentionne moins souvent qu’elle sanctifie aussi la concussion, le népotisme, la corruption. Les socialistes ont une si haute idée de leur propre moralité qu’on croirait presque, à les entendre, qu’ils rendent la corruption honnête en s’y livrant… Ce n’est point simple complaisance à soi, mécanisme psychologique banal. Cet homme n’est point isolé, il est accompagné, soutenu par la puissance sacrée de l’idéologie, qui capitone sa conscience et le pousse à penser qu’étant lui-même à la source de toute vertu, il ne saurait secréter que de bonnes actions.
La Connaissance inutile, p. 160
Définition de l’idéologie
un mélange indissociable d’observations de faits partiels, sélectionnés pour les besoins de la cause, et de jugements de valeur passionnels, manifestations de fanatisme et non de la connaissance.
La Connaissance inutile, p. 163
La nature de l’homme est idéologique
La libido sciendi n’est pas, contrairement à ce que dit Pascal, le principal moteur de l’intelligence humaine. Elle n’en est qu’une inspiratrice accessoire, et chez un tout petit nombre d’entre nous. L’homme normal ne recherche la vérité qu’après avoir épuisé toutes les autres possibilités.
La Connaissance inutile, p. 167
Foucault attribue à la démocratie les défauts du totalitarisme
Une des manies les plus intrigantes des intellectuels consiste à projeter ainsi sur les sociétés libérales les défauts qu’ils refusent de discerner dans les sociétés totalitaires… En Europe, Michel Foucault est l’un des penseurs chez qui on l’observe avec le plus d’étonnement, car Foucault n’a jamais été communiste, ni sympathisant, ni même marxiste, contrairement à Sartre et à tant d’autres. Seul un banal parti pris “progressiste” intervient donc chez lui quand il interprète les sociétés ouvertes avec sa théorie de l’enfermement, développée en particulier dans Surveiller et punir. Foucault y décrit les sociétés libérales comme fondées sur le principe d’un enferment généralisé: enfermement de l’enfant à l’école, du soldat dans la caserne, du délinquant, ou prétendu tel, dans les prisons; du fou ou du pseudo-fou à l’hôpital psychiatrique. Lorsqu’il fourre dans le même panier des formes aussi hétéroclites d’enfermement, pour intenter un procès en totalitarisme aux sociétés démocratiques, et ce au moment même où celles-ci n’avaient jamais connu un tel degré de liberté, ni ne libéralisation de tous les secteurs ci-dessus énumérés, Foucault, on ne peut s’empêcher de la penser, décrit en réalité une autre société, une société qui le fascine, mais qu’il ne nomme pas: la société communiste.
La Connaissance inutile, p. 385
Étatisme inhérent socialiste
La socialisation rend inéluctable l’augmentation de volume et de poids du pouvoir politique, du nombre et de la puissance de ceux qui l’exercent, le servent, le soutiennent ou gravitent autour de lui.
La grâce de l’État, p. 120
Dirigisme culturel de la gauche
Rien ne me comblerait davantage, en tant que télespectateur, que de nager à longueur de soirée dans le flot roboratif de la filmographie albanaise, tanzanienne ou birmane. A une seule condition: que le choix m’appartienne.
La grâce de l’État, p. 162
Le français est à la fois anticommuniste et marxiste
Mitterrand a su offrir opportunément à l’opinion fra‡aise ce qu’elle souhaitant sans doute: un marxisme antisoviétique.
La Grâce de l’État, p. 195
Idéologie socialiste
Pour eux (les socialistes) l’injustice, les inégalités entre pays riches et pays pauvres sont une conséquence du profit. Le profit lui même est inhérent à la logique du capitalisme privé… (L)es socialistes, refusant de remettre en question le système abstrait qu’ils veulent imposer à la réalité, attribuent de plus en plus en plus souvent leurs difficultés à des complots et prennent des mesures politiques, pour corriger les effets négatifs de leur obstination.
La Grâce de l’État, p.200-2
Socialisme: mystère des origines
Pourquoi, en vertu de quels raisonnements, certains rédempteurs du genre humain se sont-ils mis-en tête que la société ne deviendrait juste que du jour ou aucun individu ne pourrait plus se lancer pour son propre compte dans une entreprise économique, d’abord comme producteur, ensuite comme consommateur? J’abandonne aux psychologues des profondeurs la tâche de nous éclairer sur ce sujet.
La Grâce de l’État, p. 126
Le naufrage du communisme de l’invalide pas au yeux des utopistes
L’utopie n’est astreinte à aucune obligation de résultats. Sa seule fonction est de permettre à ses adeptes de condamner ce qui existe au nom de ce qui n’existe pas.
La Grande parade, 2000, p. 33
Antilibéralisme européen
La plupart des gouvernements européens, dans leur politiques dites, par antiphrase, “de l’emploi”, s’obstinent à lancer sur l’eau un bateau trop lourd pour flotter. Après quoi, ils se ruinent en remorquages, renflouages, sauvetages pour tenter de remonter le navire à la surface et dédommager les naufragés. La pire des cécités est la cécité volontaire. Non seulement on refuse de prendre acte des réussites du libéralisme quand il réussit, mais on lui impute des malheurs auxquels il est étranger.
La Grande parade, p. 45
Les libéraux pour le progrès social
Des dizaines d’années avant l’apparition des premiers partis communistes et même des premiers théoriciens socialistes, ce sont les libéraux du XIXe siècle qui ont posée, avant tout le monde, ce que l’on appelait alors la “question sociale” et qui y ont répondu en élaborant plusieurs des lois fondatrices du droit social moderne. C’est le libéral François Guizot, ministre du roi Louis-Philippe qui, en 1841, fit voter la première loi destinée à limiter le travail des enfants dans les usines. C’est Frédéric Bastiat, cet économiste de génie que l’on qualifierait aujourd’hui d’ultralibéral forcené ou effréné, c’est lui qui, en 1849, député à l’Assemblée législative intervint, le premier dans notre histoire, pour énoncer et demander que l’on reconnaisse le principe du droit de grève. C’est le libéral Émile Ollivier qui, en 1864, convainquit l’empereur Napoléon III d’abolir le délit de coalition, ouvrant ainsi la voir au syndicalisme futur. C’est le libéral Pierre Waldeck-Rousseau qui, en 1884 (…) fit voter la loi attribuant aux syndicats la personnalité civile.
La Grande parade, p. 48-49
Les vrais privilèges sont le fait du socialisme, pas du libéralisme
Les inégalités libérales des sociétés de production sont agitées d’un brassage permanent et elles sont modifiables à tout instant. Dans les sociétés de redistribution étatique, les inégalité sont au contraire figées et structurelles: quels que soient les efforts et les talents déployés par un actif du secteur privé français, il n’aura jamais les avantages “acquis” (c’est à dire octroyés et intouchables) d’un agent d’Electricité de France
La Grande parade, 257
Le socialisme, c’est le vol
Dans une société où les inégalités résultent non de la compétition ou du marché, mais décisions de l’État, le grand art économique consiste à obtenir de la puissance publique qu’elle dévalise à mon profit mon voisin, si possible sans que celui-ci sache à qui va la somme qu’on lui prend.
La Grande parade, p. 260
Ne pas compter sur le long terme pour l’avènement de la liberté
Un politologue peut, avec de solides arguments, affirmer à un condamné sur le cou duquel le couperet de la guillotine est sur le point de tomber: “Rassurez-vous, cette exécution correspond à un moment de l’histoire entièrement dépassé”. Il ne fait que confirmer par là que, malheureusement, les neuf dixièmes de ce qui nous arrive sont le fruit de moments de l’histoire entièrement dépassés.
Le Regain démocratique, p. 33
Contre la révolution violente
La violence en elle-même n’a aucun caractère révolutionnaire. Historiquement, elle a plutôt été une arme entre les mains de la contre-révolution. Elle a plutôt servi à réprimer et a opprimer qu’à libérer… La violence n’a pas plus de contenu révolutionnaire que le bistouri n’a de contenu médical.
Ni Marx ni Jésus, p. 64
Cessons d’épilogue sur ce que démocratie veut dire
Toutes nos discutailleries sur ce qu’est la démocratie sont une façon d’en retarder le retour. Ce qu’est la démocratie, un enfant de dix ans peut le comprendre. Si on lui dit en vrac que ce sont les élections libres, le suffrage universel, le droit de réunion et d’association, la liberté d’opinion et d’expression, etc, il ne doutera pas un instant que ce ne soient là, dans n’importe quel système, les signes incontestables dont la présence ou l’absence indique la présence ou l’absence de la démocratie.
La Tentation totalitaire, p. 12
Tolérance et intolérance: définitions
Rappelons-le: dans l’acception du dictionnaire, on est intolérant quand on combat des idées contraires aux siennes par la force, et par des pressions, au lieu de se borner à des arguments. La tolérance n’est point d’indifférence, elle n’est point de s’abstenir d’exprimer sa penseé pour éviter de contredire autrui, elle est le scrupule moral qui se refuse à l’usage de toute autre arme que l’expression de la pensée.
Contrecensures, p. 94
Sur Sartre
Pourquoi l’écrivain français le plus représentatif des années 1950 et 1960 a-t-il haï la liberté, lui le philosophe de la liberté? Pourquoi ce penseur si intelligent approuva-t-il la nuit intellectuelle du communisme?
Pourquoi le fondateur de la fameuse revue Les Temps modernes ne comprit-il rien à son temps? Pourquoi ce raisonneur si subtil a-t-il été l’un des plus grandes dupes de notre siècle?
Au lieu d’escamoter ces réalités, mieux vaudrait tenter de les expliquer. Le problème n’est pas celui des aberrations d’un homme. C’est celui de toute un culture. Pour le résoudre, inspirons-nous de ce que Sartre a enseigné, surtout pas de ce qu’il a fait, de sa philosophie de la responsabilité, surtout pas de ses actes irresponsables, de sa morale de l’authenticité, surtout pas de son idéologie de la falsification.
Citation extraite d’un éditorial radiophonique diffusé par Europe 1 le 21 avril 1990
La vertu, comme la morale, consiste à se draper dans le Bien. La morale consiste à le faire, ou à éviter de faire le Mal.